"Sans surprise, le vote organisé dimanche 16 mars en Crimée s'est soldé par un large plébiscite à 96,6 % d'une demande de rattachement de la péninsule à la Russie. Soixante ans après avoir été cédée par Nikita Khrouchtchev à l'Ukraine, la Crimée a demandé lundi 17 mars son retour sous l'autorité de Moscou".
La requête a été formulée officiellement lundi par le Parlement de Crimée, et sera examinée vendredi 21 mars par la Douma à Moscou. Son vice-président, Sergueï Neverov, cité par l'agence Interfax, a promis une adoption dans un « très proche avenir ». Le transfert d'autorité de la péninsule ne va toutefois pas se faire sans difficulté.
Sera-t-elle un oblast comme Novgorod ou Kaliningrad ? Un kraïs, une autre entité administrative ? Une République, avec un Parlement, une Constitution et un président, comme la Tchétchénie ou l'Ingouchie ?
Nul ne sait encore quel pourrait être le statut juridique d'une Crimée russe. La Fédération de Russie comporte en effet différentes strates administratives, plus ou moins autonomes. La définition du statut juridique de la Crimée sera probablement abordée vendredi lors de l'examen par la Douma de la demande de rattachement de la péninsule à la Fédération de Russie.
Hormis Moscou, aucune capitale n'a reconnu le vote de dimanche. Les Etats-Unis et les pays européens ont tous condamné le référendum comme « illégal », « contraire à la Constitution ukrainienne et aux lois internationales » et se dirigeaient vers l'annonce de sanctions ciblées contre des dirigeants russes et ukrainiens prorusses.
Pour autant, il est difficile d'imaginer comment l'Europe et les Etats-Unis pourront s'opposer dans les faits à l'arrimage de la Crimée à Moscou.
Si la Douma entérine vendredi l'annexion de la Crimée, l'Union européenne (UE) envisage de débloquer un troisième train de sanctions, jugées plus dommageables pour la Russie car portant sur les relations économiques et commerciales, mais plusieurs responsables mettent en garde contre les risques de telles sanctions économiques, de nombreux pays européens dépendant très largement des livraisons de gaz russe.
Un boycott du prochain G8 prévu à Sotchi est également étudié. Moscou de son côté table sur la fin à terme des sanctions, comme ce fut le cas après la guerre de Géorgie en 2008, lui permettant de maintenir la Crimée dans ses frontières.
Les Tatars (environ 260 000 habitants, 12 % de la population de Crimée) sont les opposants les plus résolus au retour de la Crimée en Russie.
Victime de la collectivisation sous Staline, déportée en Asie centrale pendant la seconde guerre mondiale, cette communauté d'origine turco-mongole, installée en Crimée depuis le XIIIe siècle, a dû attendre 1989 avant de pouvoir retourner dans la péninsule.
Beaucoup n'ont toujours pas récupéré les terres qui leur appartenaient et craignent pour leur avenir sous l'autorité de Moscou.
Le dirigeant prorusse de Crimée, Sergueï Aksionov, a pourtant essayé de rassurer la minorité. Mardi, le Parlement a adopté une résolution sur la protection des droits des Tatars, leur garantissant une représentation dans les futures autorités et un statut de langue officielle.
Mais le message envoyé par le Parlement de Crimée ne convainc pas les Tatars, dont certains ont vu leur maison taguée d'une croix et qui craignent pour leur sécurité. Ce qui explique pourquoi un grand nombre d'entre eux sont tentés par l'exil.
Quant aux Ukrainiens de Crimée (environ 25 % de la population), un passeport russe leur sera proposé.
Avant la tenue du référendum, plusieurs institutions russes ont rivalisé de propositions financières. Un parlementaire russe a indiqué que les autorités étaient prêtes à soutenir la Crimée à hauteur de plus de 700 millions d'euros. Et lundi, Sergueï Aksionov assurait avoir obtenu une assistance de 295 millions d'euros de la part de la Fédération de Russie.
Des analystes chiffrent à 20 milliards d'euros le coût de l'intégration à moyen terme.
Source: Le Monde