Monday 9 December 2013

Dans la Drôme, des bataillons d'insectes pour remplacer les pesticides

"Des forces très spéciales tiennent garnison à Livron-sur-Drôme, entre Valence et Montélimar, dans un casernement de 14 000 m2. Des bataillons rampants et volants, mobilisables à tout moment. Leurs armes sont des rostres et des mandibules. Leur terrain d'opération les champs, les vergers et les potagers. Leur ennemi les ravageurs des cultures.

La revue des troupes issues des élevages de la société Biotop a de quoiimpressionner. Il y éclot, chaque année, plus de 100 milliards d'insectes affectés à la lutte biologique contre les nuisibles, dont la PME est le leader français, la seule à développer une production à l'échelle industrielle.
Pas moins d'une cinquantaine d'espèces forme ce contingent animalier, chacune affectée à une cible. Le trichogramme, guêpe microscopique, parasite les œufs de la pyrale du maïs en y pondant ses propres œufs, dont les larves dévorent leur hôte. Les coccinelles croquent les pucerons – plus d'une centaine par jour – ou les cochenilles farineuses qui infestent les agrumes et les plantes d'ornement. La petite punaise macrolophus terrasse les mouches blanches (ou aleurodes) qui ruinent les plants de tomates et d'aubergines. Une autre punaise, anthocoris, est friande des psylles, qui mettent à mal poiriers et oliviers. Les nématodes, vers lilliputiens, anéantissent chenilles et doryphores…
« Nous n'inventons rien, dit Marc Vignau, directeur général de Biotop. Nous prenons des insectes dans la nature, nous les faisons croître et se multiplier, puis nous les remettons dans la nature pour la protéger. » De fait, la lutte biologique contre les ravageurs, ou « protection biologique intégrée » des plantations, est vieille comme l'agriculture. Mais, après avoir été délaissée par les paysans au profit des traitements phytosanitaires, elle connaît aujourd'hui un renouveau, sous le double effet du retrait du marché de molécules chimiques toxiques et de la défiance croissante des consommateurs à l'égard des pesticides.
« Il serait illusoire de penser pouvoir, aujourd'hui, se passer totalement des produits de la chimie de synthèse traditionnelle, pense Marc Vignau. Ce qui n'est pas illusoire, c'est de moduler leur usage par des méthodes naturelles. » Il en est sûr, « dans la décennie à venir, l'agriculture va se tourner vers ces alternatives plus durables ». Déjà, assure-t-il, 100 000 hectares de maïs sont traités en France contre la pyrale par des lâchers de trichogrammes. Et les « insectes auxiliaires » utiles aux cultures gagnent aussi leur place dans les maraîchages.
Producteur bio de fruits et de légumes à Loriol, à un vol de coccinelle de Livron, Cyril Vignon est un adepte. « J'ai fait le choix de ne plus utiliser de produits chimiques, pour ma santé et parce que je fais de la vente directe et que c'est important pour mes clients », explique-t-il en inspectant ses plants de tomates, d'aubergines et de poivrons, sur lesquels il a dispersé une escouade de punaises.« Pour une serre de 400 m2, il faut compter entre 150 et 250 euros, dit-il. C'est un peu plus cher que la lutte chimique, mais une fois que la serre est traitée, il n'y a plus besoin d'y revenir. »
« LE CAVIAR DE NOTRE PRODUCTION »
Issue d'une collaboration avec l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Sophia-Antipolis, Biotop, née en 1985 et devenue filiale d'InVivo, premier groupe coopératif agricole français, essaime aujourd'hui dans le monde entier. Elle réalise 50 % de son chiffre d'affaires annuel, de 5 millions d'euros, à l'exportation, en Europe (notamment en Allemagne, en Espagne et en Italie), mais aussi auCanada, au Japon ou en Corée. Avec un produit-phare : les minuscules œufs d'un petit papillon de la famille des mites, la pyrale de la farine, qui servent de matrice aux trichogrammes, mais aussi d'aliment à tous les autres insectes. « Le caviar de notre production », dit Marc Vignau.
Plus de 2 000 milliards de ces œufs sortent chaque année des chaînes de Biotop, qui protège jalousement ses secrets de fabrication dans des salles closes réfrigérées, où la température, l'humidité, la luminosité et la circulation d'air sont surveillées en permanence. « Au moindre écart, nos équipes sont alertées, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 », indique Eric Thouvenin, directeur industriel. C'est que, dans chaque élevage de papillons nourriciers, couvent « plusieurs centaines de milliers d'euros ».

Source: Le Monde

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