E n dehors des rapaces qui planent dans l’air chaud, tout est aussi immobile que le mort au visage momifié. Il s’agit d’un homme, puisqu’il portait un pantalon et une chemise. Il s’était recroquevillé dans un trou pas plus grand qu’une bassine, avec l’espoir de se rendre invisible dans l’herbe. Une ultime tentative pour se soustraire à la chasse à l’homme en cours le long des berges du Nil et de ses bras marécageux, à la sortie de Bor, menée par des militaires entrés en rébellion mi-décembre à Juba contre le pouvoir du président Salva Kiir.
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Le grand fleuve, non loin, roule ses eaux chargées de limon et de végétaux, à 200 km au nord de Juba, capitale du Soudan du Sud. Le fugitif n’a pas atteint le rivage. Il a été exécuté dans son trou. Dans les environs, d’autres corps parsèment l’étendue qui mène vers l’eau ou les quartiers voisins. Des civils ont été tués dans leur maison, dans leurs toilettes. Un vernis à ongles lilas, un collier de perles blanches et noires, témoignent de jeunes femmes suppliciées. Ces corps désarticulés semblent crier encore la terreur des derniers instants.
Dans les quartiers voisins du Nil, quarante dépouilles mortelles ont pu être décomptées par Le Monde. Il ne s’agit que d’une partie des victimes, dont certaines ont été emportées par le fleuve ou se trouvent encore dans les marécages, ou sont dispersées dans cette ville étendue.
CHAROGNARDS, SILENCE, PESTILENCE : BOR EST ENCORE PLONGÉE DANS SON CAUCHEMAR
Dans le reste de Bor, bien d’autres encore attendent d’être inhumées en cette fin janvier. Un des rares observateurs extérieurs qui a circulé en ville pendant les tueries décrit des scènes terribles : femmes violées et massacrées, corps jonchant les routes. Rien n’a été épargné : ni la cathédrale épiscopalienne Saint Andrews, où des femmes qui cherchaient refuge ont été exécutées, ni l’hôpital où les blessés ont été achevés dans leur lit. Ça et là, surgissent des hommes et des femmes miraculés. Une vieillarde désigne les endroits où ont été tuées ses voisines, toutes de sa génération. Elles n’avaient pas eu la force d’affronter une fuite dans les marais. Certaines ont été mises à mort dans leur toukoul (hutte ronde en terre), ou au hasard des ruelles.
Un homme âgé, long bâton à la main, avance dans les herbes où il est resté caché six jours, survivant de justesse en buvant l’eau stagnante. Depuis son buisson, il a aperçu un jeune homme courir vers la rive, être repéré, puis tué par les soldats rebelles. On cherche le corps, il semble avoir disparu. Non, voici des os épars, un squelette éparpillé sur quelques mètres. Il ne reste pas un lambeau de chair. Les chiens, les insectes, les oiseaux, les bêtes sorties du fleuve… Le vieillard en reste muet d’horreur. Charognards, silence, pestilence : Bor est encore plongée dans son cauchemar.
Source: Le Monde